La synagogue chassée, symbole de l’exclusion du judaïsme à Nicée. Fresque du monastère d’Abu Gosh (Israël).
Par Martin Hoegger
Cet article est un résumé de la présentation que j’ai donnée lors du rassemblement Vers un deuxième Concile de Jérusalem (Towards Jerusalem Council II – TJCII) à Jérusalem, du 21 au 23 octobre 2025. L’année 2025 marque le 1700e anniversaire du concile de Nicée (325 après J.-C.), l’un des moments les plus importants de l’histoire chrétienne. Convoqué par l’empereur Constantin, il a donné naissance au Credo de Nicée, affirmant que Jésus-Christ est « vrai Dieu et vrai homme ». Cette confession est devenue la pierre angulaire de la foi, le fondement de l’unité chrétiennes.
Cependant, le Concile a également initié une séparation entre l’Église et le peuple juif, une division qui a profondément influencé l’histoire chrétienne. La clarté théologique obtenue à Nicée a eu un coût tragique : le rejet du judaïsme et des disciples juifs de Jésus, l’Ecclesia ex circumcisione (l’Église née de la circoncision). Ce double héritage nous invite à réfléchir à la manière dont les chrétiens peuvent commémorer l’anniversaire de Nicée dans un esprit de repentance, d’humilité et de fraternité renouvelée avec le peuple juif.
La vision de Constantin : l’unité au prix de la séparation
L’empereur Constantin considérait la division religieuse comme une grave menace pour la stabilité impériale. Cherchant à assurer l’unité de l’empire par l’unité de l’Église, il lia le pouvoir politique à l’orthodoxie chrétienne. Cependant, cette fusion entre l’empire et la foi eut des conséquences désastreuses sur les relations entre juifs et chrétiens.
Dans sa lettre annonçant les décisions du concile, Constantin exhorta les croyants à rompre tout lien avec le judaïsme, déclarant que les chrétiens ne devaient « rien avoir en commun avec la foule juive détestable ». Il rejeta toute dépendance vis-à-vis des traditions juives, en particulier le calendrier juif pour la datation de Pâques. Cette position impériale encouragea l’Église à se définir non seulement en dehors du judaïsme, mais aussi contre lui, transformant une histoire partagée en exclusion.
La disparition de l’Église née de la circoncision
Malgré ce changement, les communautés de croyants juifs en Jésus ont continué d’exister jusqu’au VIe siècle. A Rome, le souvenir de l’unité entre les croyants juifs et païens a été préservé grâce aux figures de Pierre, apôtre des circoncis, et de Paul, apôtre des nations. Les mosaïques des églises romaines de Sainte-Pudentienne et Sainte-Sabine représentent ces deux communautés — Ecclesia ex circumcisione et Ecclesia ex gentibus — en harmonie. Mais après Nicée, cependant, cette double réalité disparaîtra progressivement.
Les conciles et les synodes approfondissent la division
Le ton anti-juif de Nicée s’amplifia lors des conciles ecclésiastiques suivants. Le concile d’Elvira (306) avait déjà interdit aux chrétiens et au clergé de partager leurs repas avec les juifs. Le synode de Laodicée (364) interdit aux chrétiens d’observer le sabbat ou de participer aux rites juifs, déclarant que toute personne surprise à « judaïser » serait excommuniée. Il était également interdit aux chrétiens d’accepter de la nourriture ou des cadeaux lors des fêtes juives.
La séparation s’étendit même au calendrier : la décision de Nicée de fixer la date de Pâques indépendamment de la Pâque juive institutionnalisa la rupture entre l’Église et la synagogue. Ces décisions reflétaient un effort pour créer des frontières claires entre juifs et chrétiens, effaçant les premiers siècles de vie partagée, à divers degrés.
La divinité du Christ et la perte de son humanité juive
La confession du Credo de Nicée selon laquelle Jésus est « vrai Dieu et vrai homme » reste fondamentale pour la foi chrétienne. Cependant, tout en défendant sa divinité, l’Église a progressivement perdu de vue son humanité en tant que Juif, son appartenance à Israël et son enracinement dans l’histoire de l’alliance. Les crédos ultérieurs ont renforcé cette omission.
Il est essentiel de retrouver l’identité juive de Jésus pour parvenir à une christologie équilibrée. Grâce au dialogue judéo-chrétien moderne, les croyants redécouvrent que les natures divine et humaine du Christ sont indissociables de son identité de fils d’Israël.
Deux théologiens juifs sur l’héritage de Nicée
Les érudits juifs ont contribué à clarifier les conséquences historiques et théologiques de Nicée. Daniel Boyarin, dans The Jewish Christ, soutient que le concile de Nicée a créé la séparation définitive entre le christianisme et le judaïsme, donnant naissance à deux religions distinctes.
Mark Kinzer, coprésident du dialogue entre le Vatican et les juifs messianiques, ajoute que Nicée ne peut être considéré comme pleinement œcuménique, car les croyants juifs en Jésus n’y étaient pas représentés. Il qualifie l’absence de la relation de Dieu avec Israël dans le Credo de Nicée de « substitution par omission », c’est-à-dire un effacement de la place d’Israël dans la conception que l’Église a d’elle-même. Kinzer prône une « Église bilatérale », dans laquelle Juifs et Gentils coexistent au sein d’un même corps, chacun honorant sa vocation particulière. Cependant, il affirme également que le Credo de Nicée est une expression fidèle de la foi essentielle de l’Église, soulignant que là où l’orthodoxie nicéenne décline, la vitalité spirituelle diminue également.
De l’« altérisation » à la réconciliation
À Nicée, les juifs en sont venus à représenter « l’Autre », le peuple dont les chrétiens devaient se séparer. Cet acte d’« altérisation » a jeté les bases de siècles d’hostilité et de mépris. Ce n’est qu’après la Shoah au XXe siècle qu’une nouvelle ère de dialogue a vu le jour, que l’on pourrait qualifier d’« échange de dons ».

« Synagoga » embrassée par l’Eglise. Fresque du monastère d’Abu Gosh
Le 1700e anniversaire de Nicée devrait donc être marqué par la fraternité, l’humilité et la repentance. Les chrétiens sont invités à renouer des liens d’amitié avec les communautés juives par des visites mutuelles, le dialogue et le culte commun. Dans l’église bénédictine d’Abu Gosh, près de Jérusalem, une fresque représente un ange repoussant une femme appelée « Synagoga », symbolisant le rejet du judaïsme. L’artiste juif Peter Maltz a ensuite redessiné cette image avec l’ange embrassant la femme, une expression puissante de réconciliation. (voir les deux images).
La repentance est également indispensable. Dans la tradition biblique, le Jubilé commence et se termine avec le Yom Kippour. De même, le Jubilé de Nicée de 2025 doit inclure la confession de l’antijudaïsme associé au Concile et l’engagement à en guérir les conséquences. À la suite de la prière de repentance du pape Jean-Paul II au Mur occidental à Jérusalem en 2000, les dirigeants de l’Église sont aujourd’hui invités à embrasser symboliquement leurs frères et sœurs juifs, comme l’ange embrassant synagoga dans la peinture de P. Malz, inaugurant ainsi un nouveau départ.
Redécouvrir la plénitude de l’Église
Le récent renouveau de l’Ecclesia ex circumcisione (l’Église issue de la circoncision) – des juifs qui croient en Jésus tout en restant fidèles à leur identité juive – est un signe prophétique d’espoir. Il rappelle cette Ecclesia des débuts et met l’Église mondiale au défi de redécouvrir sa nature bilatérale. L’initiative Towards Jerusalem Council II (TJCII) cherche à concrétiser cette vision, en imaginant un futur concile où les croyants juifs et gentils se tiendraient à nouveau côte à côte.
Conclusion : de la commémoration à la transformation
Le concile de Nicée reste un jalon important dans la théologie chrétienne, mais son héritage porte également les blessures de la division. Le 1700e anniversaire est non seulement l’occasion de se souvenir, mais aussi de se repentir et de se renouveler.
Dans la perspective de 2033, le 2000e anniversaire de la résurrection, le jubilé de 2025 peut devenir un tournant spirituel, un moment pour prier pour que le Saint-Esprit se répande afin de restaurer la communion entre les Juifs et les chrétiens dans le Messie. Selon les mots de l’apôtre Paul : « Accueillez-vous donc les uns les autres, comme Christ vous a accueillis… Car Christ est devenu serviteur des Juifs au nom de la vérité de Dieu, afin que les Gentils glorifient Dieu pour sa miséricorde » (Romains 15,7-9).
C’est dans cette acceptation mutuelle que réside l’espérance de guérir l’ancienne blessure ouverte à Nicée et de révéler la véritable plénitude du Corps du Christ, la lumière des nations et la gloire d’Israël (Lc 2.32).



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